Un potentiel inexploité
Seulement 0,3 % du financement international de la lutte contre le changement climatique est attribué aux agriculteurs familiaux qui produisent un tiers des denrées alimentaires dans le monde.
Les agriculteurs familiaux produisent un tiers (32 %) des denrées alimentaires dans le monde, mais n’ont reçu que 0,3 % du financement international de la lutte contre le changement climatique en 2021 pour les aider à s’adapter. C’est ce que révèle une nouvelle étude publiée aujourd’hui.
Le sommet des Nations unies sur l’ambition climatique, qui se tiendra à la fin du mois, devrait déboucher sur un objectif mondial en matière d’adaptation. Les gouvernements sont invités à s’engager à inclure pour la première fois l’alimentation et l’agriculture dans leurs plans de lutte contre le changement climatique.
L’analyse du financement public international pour l’atténuation et l’adaptation aux effets du changement climatique a été réalisée par Climate Focus pour des réseaux d’agriculteurs représentant plus de 35 millions de petits producteurs en Afrique, en Amérique latine, en Asie et dans le Pacifique. Un état des lieux des dépenses réalisées en 2021 révèle que :
- Le secteur agroalimentaire a reçu 8,4 milliards de dollars, soit environ la moitié des 16 milliards de dollars consacrés à l’énergie. Les pays vulnérables au climat et souffrant d’insécurité alimentaire, tels que la Zambie et la Sierra Leone, n’ont reçu que 20 millions de dollars chacun.
- Seuls 2 % du financement public international de la lutte contre le changement climatique (2 milliards de dollars) ont été consacrés aux petits exploitants familiaux et aux communautés rurales. Cela représente environ 0,3 % du total du financement international pour le climat provenant de sources publiques et privées. Rien qu’en Afrique subsaharienne, les besoins financiers des petits exploitants sont estimés à environ 170 milliards de dollars par an.
- Seul un cinquième (19 %) du financement climatique destiné au secteur agroalimentaire a été consacré au développement de pratiques durables et résilientes telles que l’agroécologie (1,6 milliard de dollars). Il s’agit d’une fraction des 300 à 350 milliards de dollars par an estimés nécessaires.
Hakim Baliriane, Le président du Forum des petits exploitants agricoles d’Afrique orientale et australe (ESAFF) a déclaré: « Le changement climatique a plongé 122 millions de personnes dans la faim depuis 2019. Il ne sera pas possible d’inverser cette tendance si les gouvernements continuent de mettre des bâtons dans les roues des 600 millions d’agriculteurs familiaux du monde. Ensemble, nous produisons un tiers de la nourriture mondiale, mais nous ne recevons qu’une fraction du financement climatique dont nous avons besoin pour nous adapter. Il est également impératif de soutenir le passage à des pratiques durables telles que l’agroécologie si l’on veut que les agriculteurs s’adaptent et fassent progresser les objectifs de souveraineté alimentaire et de durabilité »
L’étude, Un potentiel inexploité, montre également que 80 % du financement public international pour le climat consacré au secteur agroalimentaire passe par les gouvernements bénéficiaires et les ONG des pays donateurs. Il est donc plus difficile pour les organisations d’agriculteurs familiaux d’y accéder en raison de règles d’éligibilité injustes, de processus de demande complexes et d’un manque d’informations sur la manière de procéder pour demander des fonds et sur l’endroit où s’adresser. Les agriculteurs familiaux reçoivent un quart (24 %) des dépenses du secteur.
De nombreux petits exploitants familiaux ne disposent pas des infrastructures, des technologies et des ressources nécessaires pour s’adapter aux effets du changement climatique. Cette situation a de graves répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale et les économies rurales. Les exploitations familiales de moins de deux hectares produisent un tiers de la nourriture mondiale (32 %), tandis que les exploitations de cinq hectares ou moins génèrent plus de la moitié de la production mondiale de neuf cultures de base : le riz, l’arachide, le manioc, le millet, le blé, la pomme de terre, le maïs, l’orge et le seigle. Elles produisent par ailleurs près des trois quarts du café et de 90 % du cacao. Plus de 2,5 milliards de personnes dans le monde dépendent des exploitations agricoles familiales pour leur subsistance.
Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat estime que le moyen le plus efficace de préserver la sécurité alimentaire est d’adopter des systèmes alimentaires plus respectueux de la nature et plus diversifiés. Les agriculteurs familiaux sont à l’avant-garde de ces efforts. Par exemple, les producteurs du Pacifique plantent des arbres à pain à côté d’autres cultures pour renforcer leur résilience. Le fruit de l’arbre à pain est un aliment de base nutritif et son arbre résiste à la sécheresse et est rarement déraciné par les tempêtes et les cyclones.
Alberto Broch, président de la Confédération des organisations de producteurs familiaux du Mercosur élargi (COPROFAM), a déclaré : « Notre message aux gouvernements est clair : plus de 600 millions d’exploitations agricoles familiales sont déjà engagées dans la construction de systèmes alimentaires plus durables et plus résistants. Elles disposent d’une mine de connaissances et d’expériences qu’il convient d’exploiter. En faisant entendre leur voix dans le processus décisionnel et en garantissant un accès direct à davantage de financements pour le climat, nous pouvons créer une alliance puissante dans la lutte contre le changement climatique ».
Esther Penunia, secrétaire générale de l’Association des agriculteurs asiatiques (AFA), a déclaré : « Des générations d’agriculture familiale et les dernières données scientifiques nous montrent que le travail avec la nature et l’autonomisation des communautés locales sont essentiels pour préserver la production alimentaire dans un contexte de changement climatique. Il faut repenser en profondeur le financement de la lutte contre le changement climatique afin de soutenir ces solutions éprouvées, en consacrant beaucoup plus de fonds aux agriculteurs familiaux et aux pratiques durables telles que l’agroécologie. »
Notes à l’éditeur
Le rapport sous embargo, « Untapped Potential : An analysis of international public climate finance flows to sustainable agriculture and family farmers,’ est disponible ici. Il sera publié ici le 14 novembre.
Ce rapport est publié par 10 organisations et réseaux d’agriculteurs familiaux représentant plus de 35 millions d’agriculteurs en Afrique, en Amérique latine, en Asie et dans le Pacifique: Association des agriculteurs asiatiques pour un développement rural durable (AFA), Confédération des organisations de producteurs familiaux du Grand Mercosur (COPROFAM), Fédération des agriculteurs d’Afrique de l’Est (EAFF), Forum des petits agriculteurs d’Afrique orientale et australe (ESAFF), Union des agriculteurs du Maghreb et d’Afrique du Nord (UMNAGRI), Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), Réseau des organisations paysannes des îles du Pacifique (PIFON), Programme régional de dialogue rural (PDRR), Plate-forme régionale des organisations paysannes d’Afrique centrale (PROPAC) et Forum rural mondial (FRM).
Il est soutenu par la Foundation for Farmers Organisations and Restorative Action.
L’analyse a été réalisée par Climate Focus.